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jeudi 16 mars 2017

PEC des réfugiés en Psychomot


Marion, Psychomotricienne diplômée de l’école de Bruxelles, a réalisé après son DE un stage dans une association prenant en charge des hommes, femmes et enfants réfugiés. Encore une belle application de la Psychomot, qui peut décidément s’attaquer à de nombreuses problématiques !




Dans quels pays et quels types d’établissement se déroule la prise en charge psychomotrice des réfugiés ?

      C’est en France, puis en Suisse et en Belgique que l’on trouve des psychomot travaillant auprès de migrants. La plupart travaillent dans des centres spécialisés dans la migration ou en libéral. Mais l’on retrouve le plus de migrants dans les lieux en lien avec l'enfance (car les migrants ont comme nous tous pour obligation de scolariser leurs enfants).
      En fait on est pas obligé de travailler dans un centre spécialisé dans la migration pour travailler auprès de migrants/réfugiés, parfois on se retrouve dans des quartiers un peu plus défavorisés, ou près d'un foyer d'accueil, et on les rencontre dans les hôpitaux, dans les écoles, parfois même dans les maisons de repos.


Dans quelle institution as-tu travaillé ?

      J’ai fait un stage de six mois dans une association en Belgique spécialisée dans l’accueil des personnes migrantes, exilées, réfugiées. Le but de cette association est d’offrir un soutien médico-psycho-social à ces personnes qui ont, dans la plupart des cas, été victimes d’une guerre et/ou de violences, de tortures, de persécutions psychiques, physiques ou sexuelles, en plus d’avoir dû quitter un pays auquel elles étaient attachés.

      L'équipe était constituée de médecins, psychologues, assistant-e-s sociales, et de ma maîtresse de stage

Comment/pourquoi t'es tu orientée vers la prise en charge des réfugiés ?

     J’ai toujours été très attirée par les problématiques culturelles et migratoires (un de mes rêves d’enfants était d’ailleurs d’être anthropologue) sans pour autant penser un jour que je pourrais travailler dans le domaine en tant que psychomotricienne. En fouillant sur internet à la recherche d’un stage (dans tous les domaines à ce moment là), j’ai pu voir que, même si les psychomotricien-ne-s qui travaillaient auprès de ces personnes étaient très rares, il y en avait quand même ! Et il y en avait justement une en Belgique au sein de cette association. En fait, je ne cherchais pas réellement un stage dans ce domaine parce que je ne savais pas que nous pouvions y travailler mais, en voyant cette occasion, j’ai su instantanément que c’était ce que je voulais faire, que ça allait probablement être dans ce domaine que je m’épanouirais en tant que psychomotricienne, et je voulais aussi montrer aux gens que nous avons un rôle à jouer avec ces personnes. 


Voyais tu plus d'hommes, de femmes, d’enfants ? Quelles étaient leurs nationalités ?

      La proportion d’hommes et de femmes est à peu près équivalente. En ce qui concerne les enfants, j’étais dans une équipe d’accueil pour adultes donc j’en ai croisé peu. Mais il y a beaucoup de MENA (Mineurs Etrangers Non Accompagnés), c’est-à-dire des jeunes entre 11 et 17 ans qui ont migré seuls depuis leur pays d’origine. Et dans ces cas là aussi la psychomotricité a son rôle : ces jeunes sont isolés, en perte de repères, traumatisés. Pendant la migration, ce sont des personnes très vulnérables qui peuvent être facilement intégrés à des trafics d’humains. Dans quelques cas, le reste de la famille est encore au pays, ou elle a migré également mais est bloquée dans un autre pays, ils ont très rarement de leurs nouvelles. Comme les adultes, ils ont accumulé beaucoup de mauvaises expériences et leur corps en pâtit. Ce sont des jeunes, parfois des enfants, qui ont dû grandir trop vite.

      Quant aux nationalités, c’est lié aux pays en guerre ou sujets à des conflits entre ethnies : Syrie, Irak, Afghanistan, Erythrée, Somalie, Guinée, Sénégal… Certaines femmes fuient les mariages forcés également.




Était-ce difficile de faire face à ce public traumatisé par des épreuves qu'on n’imagine même pas en Europe ?

      Oui au début c’est difficile. En plus, j’étais souvent plus jeune que mes patients, ce qui me donnait encore plus l’impression de ne pas être, en quelques sortes, crédible. 
      
      On se demande si on peut faire face aux récits qu’on entend. Parfois on parvient à accueillir ce qui est dit, et d’autres fois on ne le peut pas. Au niveau du contre-transfert c’est parfois difficile à gérer : ça dépend de la personne que l’on a en face de nous, de la façon dont elle-même parvient à mettre en mots ce qui a été vécu et dont elle s’en distancie, mais aussi de l’état dans lequel on est au moment où l’on reçoit le récit. 

      Mais chaque prise en charge a son lot de difficultés à ce niveau là, dans toutes les disciplines et avec tout public, en fonction de notre expérience, de notre état et du patient, il y a des choses qu’on peut gérer et d’autres où on va avoir besoin d’une aide extérieure. L’équipe, si elle est en de bons termes et soutenante (et j’ai eu la chance que ce soit le cas pour moi) apporte cette aide extérieure, nous aide à nous distancer de ce qu’on vit avec certains patients dont les récits nous submergent. 

      Mais la chose principale qui nous permet de faire face reste selon moi la force des patients. Les patients réfugiés ont une force de résilience incroyable, ils parviennent à surmonter des choses qui nous paraissent insurmontables. Cette résilience épatante et les progrès qu’ils font chaque jour sont très nourrissants et c’est ce qui m’a permis de faire face aux moments plus difficiles. C’est l’aspect magnifique de ce travail : ils ont souvent en eux toutes les ressources nécessaires pour surmonter leurs traumatismes, et nous on est finalement là pour aider à ce que ces ressources émergent.


En quoi ton travail auprès des réfugiés était il différent du travail des psychologues et des autres médecins et paramédicaux ?

      J’ai en fait beaucoup écouté ce qu’ils avaient à dire, mais probablement pas de la même façon que l’a fait la psychologue. Je pense que le fait de travailler sur le corps permet de délier la parole. En fait, la prise en charge en psychomotricité arrivait souvent en dernier lieu : on avait une réunion d’équipe dans laquelle on énonçait les nouveaux arrivants, puis ils avaient souvent en tout premier lieu un RDV avec le médecin de l’association, pour constater les tortures et violences, les maladies potentielles, les troubles physiques et/ou psychiques… et parallèlement avec l’assistant social pour travailler sur la procédure de demande d’asile et la possible obtention de leurs papiers, qui est d’ailleurs souvent pour eux la priorité ultime. 

      C’est souvent à la suite de ces entretiens qu’on décidait s’ils seraient suivis en psychologie et en psychomotricité. Dans certains cas, un travail sur le corps peut s’avérer un peu effrayant, parce que ce n’est pas courant dans leur culture ou parce qu’ils ont vécu tellement de mauvaises expériences au niveau corporel qu’ils le désinvestissent. Un suivi psychologique peut être alors plus judicieux dans un premier temps. Mais dans d’autres cas, c’est parfois le fait de travailler sur le corps qui va délier la parole et indirectement impacter le travail réalisé parallèlement en psychologie

      Aussi nos prises en charge sont différentes mais complémentaires. Ces patients ont souvent beaucoup de choses dans la tête qui les empêche de vivre pleinement : la famille est restée dans leur pays d’origine ou est décédée, parfois pendant le trajet migratoire, puis les souvenirs de la guerre ou des tortures/violences qui reviennent en boucle, sans compter la lenteur de la procédure d’asile qui les laisse constamment dans un sentiment d’insécurité : ils pourraient repartir vers l’enfer qu’ils ont vécu à tout moment.


Qu'elle est la place de la Psychomotricité dans cette problématique ?

      Souvent, le principal aspect dans ces prises en charge reste de créer un lien avec la personne : elle n’a peut-être plus de famille, se sent isolée, peut avoir perdu toute confiance en l’humanité avec les atrocités qu’elle a pu vivre. On essaie de reconstruire du lien et des repères chez la personne : dans l’écoute, dans la contenance, dans la mise à disposition d’un espace-temps sécure où elle sent qu’elle peut s’exprimer et que ce qu’elle exprime sera accueilli, digéré, symbolisé, transformé ou mis en mots. 

      Quand je parle de créer repères, je pense aussi aux repères spatiaux-temporels : il ne faut pas oublier que les personnes réfugiées arrivent dans un environnement et une culture inconnue, complètement différente dans sa gestion de l’espace et du temps. En ethnopsychiatrie, on parle de « métissage » et notamment de « cadre métissé ». Notre cadre en psychomotricité, balisé en temps et en espace, offre des repères mais peut également servir à la rencontre interculturelle avec notre patient. Sans calquer la culture du patient, on peut s’en inspirer dans l’aménagement de notre salle, dans l’utilisation du temps ou dans le choix des médiations. 

      Nous avons aussi accès, de manière plus privilégiée, au langage non verbal du patient et à tout ce dialogue tonico-émotionnel qui est une des spécificités de notre métier. Puisque le psychisme et le corps sont liés, tout ce que le corps raconte n’est pas anodin et c’est au psychomotricien de se questionner sur l’état de son patient lorsque le langage verbal ne concorde pas avec le langage non verbal. 

      C’est par ailleurs souvent le cas chez ces patients, ils ont régulièrement des troubles du tonus et on le ressent plus particulièrement à travers le dialogue tonico-émotionnel. La souffrance psychique qui a été vécue lors de la migration et des violences laisse une emprunte tonique dans le corps du patient, parfois hypertonique, parfois hypotonique mais qui entraine des difficultés corporelles et motrices. J’ai eu des patients complètement raides, qui n’utilisaient plus toutes leurs articulations.

      Nous avons aussi un apport intéressant pour les troubles psychosomatiques, une autre traduction par le corps de ce qui se passe dans le psychisme : les problèmes de sommeil, l’hypervigilance, les troubles anxieux, les troubles digestifs, les troubles de l’équilibre, les troubles de l’humeur…


Quels étaient les troubles psychomoteurs les plus répandus chez tes patients ?

      Les traumatismes vécus par la migration ou les tortures induisent ce que l'on appelle un Syndrome de Stress Post-Traumatique, c'est un trouble psychique qui en entraîne plein d'autres : des états psychotiques, des troubles de l'attention, de l'hyperviligence. Tout ça fait que le corps est constamment en alerte, sans possibilité de se reposer et de récupérer. Le système nerveux parasympathique est alors mis à mal, ce qui entraine des troubles du sommeil et digestifs

      Au niveau psychomoteur, ça se traduit par des troubles du tonus, des troubles psychosomatiques, des troubles sensori-moteurs, et parfois aussi des maladies en lien avec les douleurs chroniques comme la fibromyalgie. Il y a en fait une corrélation entre ces maladies et les traumatismes, sans que l'on ait encore de réelle explication à ce sujet (l'hypothèse principale est la modification du seuil de la douleur due aux traumatismes, comme si les récepteurs de la douleur situés dans le SNC et stimulés pendant les événements traumatiques avaient pu développer une sorte de mémoire de la douleur jusqu’à en devenir plus sensibles).




Quelles techniques/médiations utilisais-tu ?

      Devant tout ce qu’ils ont vécu, ils ont beaucoup à exprimer, à extérioriser, parfois c’est à travers les mots (quand ils savent parler le français, car je n’ai pas encore mentionné la barrière de la langue mais c’est tout de même un aspect important et particulier du travail auprès de réfugiés), parfois c’est à travers le corps : le yoga, la relaxation, les touchers thérapeutiques, la danse ; ou bien le dessin, la peinture, le théâtre, la sculpture

      On cherche la médiation qui va fonctionner le mieux avec la personne. C’est aussi à tâtons qu’on avance, j’ai pu personnellement beaucoup travailler avec le toucher mais quand le corps a été profané, persécuté, maltraité, les médiations corporelles en général doivent être amenées très minutieusement.

      En séance individuelle, j’ai fait essentiellement de la relaxation, des exercices de respiration, de touchers thérapeutiques, quelques exercices empruntés au tai-chi et du dessin ou du travail de l’argile. La relaxation, la respiration, le toucher et le tai-chi parce qu’ils permettent une réappropriation corporelle et de la détente dans le cas d’hypertonie. Et puisque corps et psychisme vivent en interrelation, une détente corporelle peut amener une détente psychique et inversement. Il y a aussi ce sentiment de reprendre le contrôle sur son corps, qui a pu vivre des états de soumission terribles, et du coup sur sa vie. L’argile et le dessin, parce que ça permet de symboliser tout ce qui a pu être vécu.

      En prise en charge en groupe, c’était plus « ludique », un terrain d’expérimentations corporelles et de sensations : jeux avec ballons, foulards, tissus, jeux de rythmes, automassages, expression primitive, danse… C’était un travail de relation, pour réinscrire des personnes au sein d’un groupe, mais d’image du corps aussi : prendre conscience que nous et notre corps somme encore capable de bouger, de s’exprimer, d’entrer en relation…


En tant que jeune diplômée, est ce que tu as pu tirer de tes études toutes fraîches des choses pertinentes pour cette PEC ?

     Etant donné que cette expérience est celle de mon stage long de troisième année, j’avais encore un pied à l’école au moment où elle a été vécue. Et oui, la majorité des choses que ce que j’ai utilisé, je les ai apprises pendant mes études. En Belgique nous avons beaucoup de cours pratiques, nous avons pu expérimenter beaucoup de médiations différentes. 

     Nous avons aussi un cours d’ethnopsychologie, il me semble que ça ce n’est pas le cas en France dans certaines écoles. Ce cours m’a été très utile également pour comprendre ce qui pouvait se passer lors de la rencontre de deux cultures différentes. A côté de cela, c’était aussi le sujet de mon mémoire donc je me suis évidemment beaucoup renseignée sur le sujet et c’est comme ça que j’ai pu compléter les informations qui auraient pu manquer. 


As-tu noué des liens particuliers avec certains de tes patients ?

      Oui, bien sûr ! La fin du stage n’a pas été si facile, autant pour certains patients que pour moi. Quand on s’implique auprès d’une personne dans une prise en charge, on y investit notre corps de psychomotricien mais aussi notre cœur d’humain. On peut parfois s’attacher à certains patients et eux s’attachent aussi à nous, mais on part avec une sensation de fierté du chemin qu’on a parcouru ensemble, même s’il a pu être un peu sinueux parfois ou si c’est un tout petit chemin

      Avec ces patients en manque de repères, il m’a paru très important, lors de la toute dernière séance, de retracer avec eux le chemin parcouru. Ca donne un fil conducteur et, même si nous partons, ils savent où ils sont arrivés. Si les traumatismes laissent une emprunte tonique sur leurs corps, nos interventions, à travers les expériences et expérimentations que nous proposons, aussi. Tout ce que nous avons proposé, ils pourront le réinvestir à leur façon. C’est un petit bout de relation et du travail accompli qui reste même une fois la prise en charge finie.

(Photos issue du site de Human Rights Watch)

Merci à Marion pour ce témoignage très inspirant :)

Pour plus d’informations sur les personnes qui subissent ces migrations, et les moyens de leur venir en aide, voici le site de l’association française EliseCare (anciennement Shannong et Avicenne) qui apporte des soins médicaux (notamment l’acupuncture) au réfugiés d'Irak, de la Syrie, et du Liban, et intervient également auprès des migrants en France. 

Elle tire son nom d’Elise Boghosian, acupunctrice, qui a amené ses aiguilles au coeur des conflits pour soulager la douleur.


5 commentaires:

  1. merci Marion de témoigner de ce stage et de ton parcours riches d'expérience
    C.Leclercqz

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  2. Bonjour, tout d'abord merci pour ce témoignage très touchant et riche. Je suis à a la recherche d'un lieu de stage pour ma troisième année de psychomotricité. Le travail en psychomotricité avec les personnes réfugiées m'intéresse beaucoup, ainsi j'aimerais avoir, si possible, plus d'informations sur ce lieu. Vous pourrez me contacter sur ce mail : andrea-p@hotmail.fr

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  3. Bonjour
    Je rejoins le même commentaire du 18 mai 2017. Merci pour ce témoignage. Je me destine à devenir psychomotricienne et je souhaiterais aussi avoir plus de renseignement sur le lieu où vous avez fait votre stage. mon adresse mail est mamezellmarie@hotmail.fr Merci :)

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  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  5. Bonjour,
    Je suis en 1e année et ait la chance de réaliser un stage en ethnopsychiatrie à la rentrée. Je l'ai trouvé lors de recherches qui au départ étaient orientées vers les centres d'accueil de migrants, étant animée par les mêmes problématiques migratoires et culturelles. Cependant je n'ai trouvé aucune structure où est exercée la psychomotricité (même dans le service d'ethnopsy). Auriez-vous des contacts de psychomot ou de structures dans la région parisienne ?
    Merci d'avance de votre réponse, et pour ce joli témoignage
    Coline (co.filhol@live.fr)

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